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Dimanche 10 janvier 1960 (Républicain Lorrain)
Ouvrages d’art de la ligne Metz-Vigy-Bouzonville déclassée
Trois viaducs métalliques (800 m de long) seront vendus prochainement à l’encan en attendant le tour des tunnels et des gares

Qui désire se rendre acquéreur d’un viaduc métallique de bonne taille, à saisir sur place, dans la banlieue messine, pourra réaliser son rêve, avec bourse déliée, dans quelques jours puisque, le 29 janvier prochain, au Kursaal, l’on vendra à l’encan, au poids de la ferraille, trois grands viaducs de la S.N.C.F., mis à la retraite pour blessures de guerre.
L’affaire à réaliser est pour le moins originale, mais elle ne surprendra pas à une époque où malheureusement tout se vend et tout s’achète. Ce sont d’ailleurs les Domaines « une administration qui n’a pas l’habitude de plaisanter » qui sont chargés de cette opération « liquidation viaducs ».
Ils sont trois donc, trois majestueux viaducs qui pendant des décades ont dominé de leur masse aéré de poutrelles et de croisillons, de jolies vallées agrestes ou forestières, et tendu leur dos au passage d’un train poussif, cahotant, mais combien regretté aujourd’hui.
Car les viaducs de Vallières, de la vallée de la Canner, et de la vallée du Villersbach, que l’on va se disputer aux feux des enchères, appartenaient à la ligne S.N.C.F. Metz-Vigny, l’une des plus anciennes du département maintenant disparue.
Victime de la guerre
La guerre porta le coup le plus rude, la blessure mortelle à cette ligne qui desservait l’une des plus pittoresques régions de l’Est messin. La plupart des ouvrages d’art, les trois viaducs notamment furent endommagés ou détruits par le Génie français en retraite et qui désirait protéger ses arrières et lorsque la paix revint des brèches profondes étaient ouvertes tout au long de 40 ou 50 km de ligne. La réfection apparut alors comme très onéreuse et la remise en état peu rentable. Malgré le désir des usagers, la S.N.C.F. désaffecta la ligne Metz-Vigy-Bouzonville, tout au moins son premier tronçon. Puis l’on enleva les rails et les équipes de la S.N.C.F. durent pour récupérer les fils des diverses installations engager contre les voleurs de ferraille une véritable lutte contre la montre.
La petite ligne avait vécu. L’on vendit ensuite à très bon marché, des maisonnettes de gardes-barrières et la petite gare de Sanry-lès-Vigy. Voici venu maintenant le tour des viaducs, ces monstres d’acier que l’on croyait inamovibles parce qu’ils étaient puissants et robustes.
Des tonnes de ferraille
Le premier qui franchit allègrement la vallée de la Canner, dans un décor magnifique, comprend 9 travées de 22 mètres et 8 palées, soit au total un tablier de 250 mètres de longueur et un poids coquet de plus de 1.000 tonnes.
Le viaduc frère de la vallée du Villersbach, jouit d’une situation aussi remarquable, près de la charmante localité de Saint-Hubert : il a pour sa part 220 mètres de longueur, répartis en 8 travées de 22 mètres et 5 palées.
Reste enfin celui de Vallières qui enjambe en souplesse la vallée près de Lauvallières et qui est de loin le plus important. Qu’on en juge : 2 travées de 26,30 m., 4 de 40,10 m et 5 palées représentant une longueur totale de 350 mètres.
La vente se fera par adjudication publique et les marchands de ferraille seront bien sûr les premiers intéressés, mais nos trois viaducs attireront vraisemblablement des récupérateurs de toutes les régions de France et même de l’étranger. L’opération portera sans doute sur plusieurs centaines de milliers de NF et ce sera la première en Moselle de cette importance.
Un terrain de 10 mètres de large et… 20.000 de long
Puis morceau par morceau, bâtiment après bâtiment, kilomètre par kilomètre, l’ancienne ligne disparaîtra. Au fur et à mesure de leur libération par leurs occupants actuels, les petites gares, les maisonnettes de gardes seront également vendues à des prix généralement abordables puisque ces demeures, à la vocation de maison de week-end trouvent habituellement acquéreur à des prix variant de quelques centaines à quelques milliers de nouveaux francs selon l’importance et le nombre de la pièce, voire même de la situation.
Il y aura également un terrain de forme inusitée et bizarre, largeur de 10 mètres et long de 20.000, l’emprise de la voie devra âtre liquidée dans les mois à venir. Ce terrain évidemment n’offre que peu d’intérêt car il y a le ballast épais à retirer et bien souvent la voie en contrebas ou en surélévation ce qui ne facilité rien. Seuls quelques propriétaires riverains pourraient être tentés.
Trois tunnels
Enfin, et ce n’est pas le moins curieux, on pourra bientôt se porter acquéreur de deux ou trois tunnels. L’un se situe entre Nouilly et Failly, l'autre un peu au-delà de Vigy, et le troisième enfin, le plus long, après Villers-Bettnach. Qu'en faire ? des champignonnaires sans doute. C'est la destination généralement adoptée pour les anciens tunnels de la S.N.C.F. vendus ailleurs, dans d'autes régions.
Et dans quelques mois, voire quelques années, la ligne Metz-Vigy-Bouzonville ne sera plus qu'un souvenir...(RL)


Le viaduc de Nouilly après sa construction en 1908

Samedi 30 janvier 1960 (Républicain Lorrain)
Pour 570.000 NF et après des enchères sans passion
LES VIADUCS METALLIQUES DE VALLIERES, DE LA CANNER ET DU VILLERSBACH ont été acquis par des firmes françaises au détriment de sociétés hollandaises et allemandes

Pour une somme globale de 570.000 NF, les trois grands viaducs métalliques de Vallières, de la vallée de la Canner et de la vallée de Villersbach ont été acquis, hier après-midi, par plusieurs firmes françaises, distançant nettement sur le terrain des enchères les mises des sociétés allemandes, hollandaises, anglaises compétitrices. Cette vente s’est déroulée, comme nous l’avions annoncé récemment, au Kursaal, en présence d’une centaine de spécialistes : marchands de métaux, grands récupérateurs, représentants de firmes internationales venus de toute la France et de l’étranger.
Les clauses et conditions assez sévères freinèrent sans aucun doute les enchères malgré l’intérêt et l’importance des lots. Outre le paiement d’une taxe forfaitaire de 14 % s’ajoutant au prix, le cahier des charges imposait à l’adjudication l’enlèvement des lots dans un délai de 2 à 6 mois. Mais encore, les adjudicataires sont tenus d’accéder aux ouvrages vendus et de stocker les produits de la récupération en utilisant uniquement l’emprise ou les dépendances de la voie ferrée déclassée sauf avec accord avec les propriétaires. Enfin la réparation immédiate de tout dommage causé tant aux voies et installations publiques et aux propriétés privées tant pour la récupération que pour le transport des biens vendus était à leur charge. La vente devait se faire aux enchères verbales, avec admission se soumissions cachetées, sous la direction de M. Merle, le jeune et dynamique commissaire aux ventes des Domaines, en présence de M. Scherrer, inspecteur principal et de M. Scharsch, receveur central.
Ainsi donc avec quelques lots de ferraille, les trois grands viaducs métalliques qui faisaient jadis l’orgueil de la ligne déclassée Metz – Bouzonville par Vigy construite peu avant 1914, furent jetés au feu… des enchères, 3.800 tonnes de ferrailles et de fers de réemploi pour user d’une formule consacrée.
Au feu des enchères
On commença tout d’abord par annoncer que deux ponts de faible portée étaient retirés de la vente et qu’un troisième franchissant un chemin rural au PK 27.649, ne serait vendu que le 16 février prochain, 45 tonnes au total qui échappaient momentanément aux amateurs.
Et l’on passa au premier lot : 12 tonnes de ferraille provenant de la démolition d’un pont à Saint-Hubert, près de l’ancienne gare. Francs légers ? Nouveaux francs ? Pour concilier les divers points de vue on fit admettre une fois pour toutes que les enchères se feraient en anciens francs. On hésita beaucoup pour lancer un chiffre, puis soudain l’un d’eaux tomba dans le silence : 150.000. Quelqu’un le reprit au bond comme une balle : 160.000. En 7 minutes les enchères montèrent à 185.000 fr. et M. Merle adjugea à ce prix, sous réserve des soumissions sous un cacheté. Aucune cependant n’était supérieure et l’adjudicataire eut son lot.
Ferraille encore, mais 32 tonnes cette fois pour le 3ème lot. Elle provenait de la démolition de l’aqueduc métallique en bordure de la RD 52 et les moellons des piles faisaient exceptionnellement partie du lot. La première enchère jetée le fut timidement… 250.000, 300 ?000, 320.000, 330.000 fr. Le candidat adjudicataire enchérissait lui-même craignant de voir ensuite les soumissions cachetées lui « souffler » l’affaire. Cela devait arriver d’ailleurs car l’ultime de 335.000 fr. fut pulvérisée par une offre écrite de 380.000 fr.
Les gros morceaux
Mais le public d’habitués attendait les gros morceaux : les viaducs, ceux enjambant la Canner et la Villersbach (un lot de 2.160 tonnes) ; puis celui de Vallières avec ses 300 mètres de portée et son poids respectable de 1.800 tonnes.
Pendant quelques minutes, M. Merle sollicita en vain une enchère d’ouverture. Rien… la salle restant sur l’expectative. La vente de ferraille se ferait-elle uniquement sur soumission ? Puis un grossiste récupérateur sortit de sa réserve.
- 5 millions lança-t-il…
- De quels francs ? Nouveaux ? interrogea M. Merle qui n’était point dupe…
- Anciens…
Mais bientôt on parla de 15 millions anciens… puis 16, 18, 20. On sentait cependant une certaine réticence… une indiscutable prudence dans ces enchères qui montaient malgré tout de million en million. A 27, le sommet fut atteint et le silence s’établit que seul troubla le commissaire aux ventes :
- Personne ne dit mieux… J’adjuge sous réserve…
Et à la surprise générale parmi les soumissions cachetées l’une emportait et de loin, le lot des deux viaducs de la Canner et du Villersbach avec 325.253 NF, 32 millions donc soit plus de 50 avec la taxe…
- C’est une folie, dit quelqu’un…
Seule consolation : c’était une firme française qui s’était portée acquéreur.
Ce fut enfin au tour du viaduc de Vallières d’être vendu à l’encan. Les enchères verbales débutant à 20 millions n’allèrent pas plus loin que 22.
Décidément les acquéreurs en puissance se montraient forts prudents. Mais le dépouillement des offres sous pli cacheté devait leur donner tort : 242.620 fr. avaient été proposés pour le pont et c’est à ce prix qu’il fut adjugé également à une entreprise française.
Les « spécialistes » allemands, hollandais ou britanniques qui se trouvaient dans la salle s’en retournèrent donc les mains vides et l’on devait apprendre alors que les écarts entre les adjudicataires et leurs suivants étaient relativement peu importants, de l’ordre de 3 à 4.000 NF.
Et les vieux mosellans devant ces enchères soupirent : n’est-ce point un peu du passé qui disparaît avec ses souvenirs ? (RL)

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