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  Dernière mise à jour : 9 mars 2015

La gare de Metz
(Extrait de La Revue Lorraine Populaire - N° 81 - Avril 1988)

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« Vous qui passez sans me voir » On pourrait reprendre cette chanson bien connue de Jean Sablon en parlant de cette grande Dame. Nous allons essayer d'établir ses origines et son arbre généalogique de sa naissance à nos jours.
Il faut remonter à 1830. L'importation du charbon du bassin de Sarrebrück par voie d'eau via la Sarre et la Moselle, perd de son importance. Les difficultés de transport sur la Sarre obligent les industriels à constituer des stocks ou à payer des frais de « roulage » très importants.
Siméon Worms, homme d'affaires à Metz (son frère, banquier s'occupe des intérêts des maîtres de forges) est le premier en 1831 à imaginer de relier Metz à Sarrebrück par un « chemin à ornières de fer ». Pour mener à bien cette idée, l'argent ne manque pas, et de plus, les Prussiens s'y intéressent sérieusement. Malheureusement, à cette époque, il n'y avait pas en France de lois permettant des expropriations pour cause d'utilité publique. Les sentiments terriens des propriétaires les rendent intraitables. Le dossier est voué à l'échec.
Les tentatives pour relancer le projet ont lieu en 1838 puis en 1839. Comme l'ingénieur en chef du département de la Moselle critique fortement l'idée, il n'y a pas de suite. Elle n'est pas complètement morte. Reprise par une société fondée à Nancy qui étudie le tracé d'une ligne Nancy-Sarreguemines, puis Nancy-Metz et Metz-Sarrebrück, ces plans sont peu appréciés des Messins. En effet, Metz, principale place fortifiée de France (Vauban avait assez répété « les forteresses défendent les Provinces, Metz défend l'Etat ») n'était même pas reliée directement par voie ferrée à Paris. Toutes les relations passaient par Nancy ou par les Ardennes. La crise financière de 1839 fait définitivement échouer les espoirs messins.
Entre 1841 et 1842, les ingénieurs des Ponts et Chaussées préparent de leur côté une ligne qui prend son départ au port de Chambière, remonte le ruisseau de Vallières jusqu'à Retonfey, traverse par un souterrain d'une longueur de 1.000 mètres le col de Glatigny, passe à Boulay-Téterchen avec un tunnel de 1.600 mètres pour aller du bassin de la Nied à celui de la Sarre. Malgré tout ce travail, ce beau plan a été effectué en vain. L'idée est encore abandonnée.
Le tracé actuel est dû aux deux ingénieurs Frécot et Boulange qui ont leur propre projet. Le 8 novembre 1843, il est enfin approuvé par Le Joindre, ingénieur en chef du département de la Moselle. La ligne part de l'île Saint Symphorien. Les gares sont prévues à Magny et à Frontigny. La municipalité de Peltre intervient pour obtenir « sa gare », même réclamation à Faulquemont. De nombreuses stations ponctueront la ligne de 74 kms en France et de 4 kms 610 de l'autre côté de la frontière. Le dossier s'affine en 1844. Cette version prévoit l'établissement de la gare de Metz rue Sous Saint-Arnould.
Le projet resta encore dans les cartons jusqu'en 1847. La construction de la ligne, outre toutes les difficultés rencontrées, est conditionnée à l'accord du gouvernement prussien, accord qui prévoyait de poursuivre vers Mannheim, et aussi à l'accord sur les droits à percevoir sur les houilles sortant de Prusse, car en 1847, il n'existait pas de tarification douanière sur ces produits. La compagnie des chemins de fer de Paris à Strasbourg, qui devient par la suite la puissante compagnie des chemins de fer de l'Est, envisage même de mettre fin à la concession. Le 17 février 1848, les travaux entamés qui avaient été suspendus, peuvent reprendre après la signature d'une convention. La révolution de 1848 remet à nouveau tout en cause. Après de longues et difficiles tractations, un traité met un point final à cet épisode.
Par ailleurs, le tracé de la ligne Nancy-Metz au terme de deux années de palabres est finalement déterminé bien qu'il ne corresponde pas tout-à-fait à ce que les Messins auraient désiré. Il joint Nancy par Toul, la Vallée de la Moselle et Frouard. Pourtant dans le cahier des charges imposé à la Compagnie du chemin de fer, il est prévu un embranchement de Frouard à Sarrebrück en passant par Metz.
La ligne Nancy-Metz fut inaugurée le 20 juin 1850, celle de Metz-St Avold le 24 juillet 1851, et St Avold-Forbach le 16 novembre de la même année. La frontière est ouverte au rail le 15 novembre 1852.
Pour marquer le signal de l'inauguration de la première liaison entre Metz et Sarrebrück, la fameuse cloche de la cathédrale « La Mutte » a sonné. Le maire de Metz, Monsieur Jaunez, avait invité la population à la liesse couronnée par une distribution de viande et un défilé militaire dans les rues pavoisées. Dès lors, l'ouverture de nouvelles lignes se renouvela fréquemment. Le chef-lieu de la Moselle se trouva uni à Paris, à Strasbourg et à Sarrebrück devenue tête de ligne vers Ludwigshafen. La ligne Metz-Thionville fut mise en circulation en 1854.
Alors que les diligences mettaient, sauf incidents, trente heures pour parcourir la distance séparant Metz de Paris, les trains express reliaient en 1854, les deux villes en 9 h 30 puis en 8 heures seulement quelques années plus tard. Il n'existait certes qu'un seul express par jour avec uniquement des voitures de 1ère classe. Le prix du trajet était en 1858 de 44 F légèrement supérieur à celui des meilleures places du coupé de la diligence. Ce mode de transport se trouvait de ce fait, réservé aux personnes aisées. À cette époque, en Lorraine, un ouvrier qualifié gagnait par jour entre 3 et 4 francs. Au cours du trajet, un arrêt de vingt minutes était prévu au buffet d'Epernay. Il ne faut pas oublier que les wagons, pendant de nombreuses années, ne comportaient pas de commodités, ni de toilettes qui apparurent seulement vers la fin du XIXe siècle dans les wagons de 1ère classe des trains express. Quant au train semi-direct, le meilleur, qui avait des voitures de troisième classe, il lui fallait encore compter sans d'éventuels retards, une douzaine d'heures pour atteindre Paris. Le prix de la place était également supérieur à celui des emplacements de la diligence exposés aux intempéries.
Metz se trouvait à moins de sept heures de Mannheim, à deux du Luxembourg, à une heure trente de Nancy et à six heures de Strasbourg.
Les voitures destinées aux voyageurs étaient de type anglais. Elles étaient divisées en un certain nombre de compartiments séparés les uns des autres par des cloisons transversales. On y accédait par des portières placées sur les parois longitudinales des wagons. Dans ces wagons, il était impossible de circuler. Dans la dernière décennie du XIXe siècle, on vit apparaître des voitures de type américain uniquement dans la catégorie de 1ère classe avec un couloir central longitudinal débouchant aux deux extrémités sur une plate-forme donnant accès aux compartiments.
Les chemins de fer bouleversent aussi le transport des marchandises plus encore que celui des voyageurs car il y eut dans ce domaine une économie de temps et d'argent. Le tarif de neuf centimes par tonne et par kilomètre était en effet inférieur de près de moitié à celui du roulage et d'autre part, la voie ferrée était tellement plus rapide et plus directe.
Lorsqu'on envisagea l'établissement des voies ferrées, les Messins, les autorités municipales et départementales voulurent placer la gare à l'endroit le plus rapproché du trafic des diligences dont la place de Chambre était le centre d'où partaient les voitures pour les directions lointaines de Paris, Mayence et Bruxelles. Les voyageurs trouvaient à proximité de nombreuses hôtelleries. Ils établirent un projet dans ce sens où la voie arrivait au pied de l'Esplanade dans l'île St Symphorien. Des dépôts et des annexes y seraient placés à l'abri d'un ouvrage fortifié. Un souterrain percé dans le jardin Boufflers permettait à la ligne de pénétrer en ville jusqu'à une gare projetée rue sous Saint Arnould. Les ingénieurs écartèrent ce projet car le terrain était à cette époque inondable et, de plus, fort instable nécessitant de profondes fondations. Les Messins dans leur projet avaient minimisé l'avenir et le rôle important des chemins de fer. Dans ce cas, ils n'étaient pas les seuls. Lors du débat à la Chambre des députés concernant la construction de la ligne Paris-St Germain en 1837, le ministre des finances avait déclaré que le fer était cher en France pour construire des voies ferrées. Un membre de cette assemblée avait ajouté que le pays était trop accidenté pour ce genre de transport. Le grand savant Arago avait de son côté affirmé que « les tunnels seront nuisibles à la santé des voyageurs et les exposeront à des rhumes et des pleurésies ».
Un deuxième emplacement situé hors des remparts entre Metz et Montigny fut choisi près de la porte St Thiebault à la hauteur de la lunette d'arçon.
Cette première gare, placée de nos jours approximativement à l'angle de la rue Gambetta et de la rue Charlemagne, est construite en bois, matériau léger, pouvant être détruite très rapidement comme c'était la règle dans une zone militaire dans la limite de portée des tirs des canons des remparts.
Cet embarcadère, terme usité à l'époque, le mot gare n'étant pas encore dans le langage courant, se composait de petits bâtiments suffisant pour assurer largement le trafic des trois trains journaliers avec Nancy.
Par suite de l'ouverture de nouvelles lignes, notamment celle de Sarrebrück, puis la Prusse, cet embarcadère ne correspondait plus aux besoins du service. Une nouvelle gare beaucoup plus important est construite en 1852 en matériaux plus résistants (ossature en fer-briques posées de chant-bois) répondant néanmoins aux servitudes imposées par les autorités militaires. Son emplacement était à peu près au même endroit, mais plus proche des remparts.


Les bâtiments dont le coût, y compris l'évacuation des eaux, nivellement et pavages avait été estimé à l'époque à 600.000 F, furent détruits par les flammes dans la nuit du dimanche 28 juillet 1872 après une vingtaine d'années de service.

Voici un extrait du « Courrier de la Moselle » du 31 juillet 1872 qui relate les faits :
« Chronique de Metz »
« Dimanche vers quatre heures du matin, les habitants de Metz ont été, encore une fois, éveillés par la cloche d'alarme, c'était la gare de la porte Serpenoise qui brûlait : le feu a vite fait son œuvre de destruction, à cinq heures et demie, toute la partie de la gare comprenant le télégraphe, les bureaux, la caisse, les salles d'attente, les marchandises de la grande vitesse était consumée à ras du sol ; la grande verrière réunissant les deux ailes du bâtiment, fortement endommagée a dû être solidement étayée.
Le numéraire qui se trouvait dans la caisse n'a pas pu être emporté. On estime, de ce chef la perte à 30.000 thalers, mais nous ne pouvons savoir jusqu'à quel point cette évaluation peut être fondée.
Le feu s'est déclaré dans les marchandises de la grande vitesse par du pétrole, qui s'est enflammé on ne sait comment.
Les voyageurs du train de quatre heures sont partis sans billets, les autres départs ont pu avoir lieu aux heures réglementaires.
Il n'a été signalé aucun accident grave. »

Après cet incendie, une nouvelle fois, les services ferroviaires s'installent dans une construction en bois durant six ans.
Ce n'est que le 15 juin 1878, que la troisième gare de Metz construite par l'architecte E. Jacobsthal, cette fois en pierre de Jaumont au même emplacement est mise en service sans inauguration officielle par suite de retards dans la finition des travaux de peinture et de décoration des salles d'attente et des halls d'entrée et de sortie.
Elle n'était en fait qu'une gare terminus à trois voies s'étendant avec les annexes à peine sur quatre hectares.
Son édification et son accès entraînèrent le percement du rempart et la création d'une porte double qui reprit la dénomination de l'ancienne porte Serpenoise démolie au XVIe siècle lors de la construction de la citadelle et du bastion Champenois.
Cette percée changea l'axe de la circulation dans la ville. L'avenue Serpenoise reçut son nom et devint l'artère principale. Les jardins qui la bordaient commencèrent à céder la place à des maisons, pour la plupart de riches hôtels particuliers. La place de Chambre entra en décadence. La clientèle de passage ne descendait plus à l'Hôtel du Nord, mais à l'hôtel de l'Europe reconstruit plus tard dans un nouveau style rue des Clercs. Le mouvement des affaires déserta ainsi subitement la partie nord de la cité.

Metz est depuis 1871 sous l'occupation prussienne. Le trafic ferroviaire prend de plus en plus d'importance. Cette gare n'était ni adaptée à une grande rotation, ni aux mouvements d'armées exigeant un matériel considérable. Les Allemands s'en contenteront pendant près d'un quart de siècle. Lorsque le danger d'une guerre franco-allemande se précise, ils entreprendront des plans importants pour donner à Metz une des gares des plus imposantes et des plus fonctionnelles. Pourquoi avoir choisi l'emplacement que l'on connaît ? Cela s'explique fort bien. En effet, la portée de l'artillerie ne cesse de s'allonger dans la deuxième moitié du XIXe siècle. De ce fait l'enceinte fortifiée héritée au XVIIIe siècle, construite par l'ingénieur Cormontaigne (originaire de Strasbourg) disciple de Vauban, n'avait plus sa signification réelle. Après 1890, même les forts détachés (fort de Queuleu, de St Julien, de St Quentin, de Plappeville, de St Eloy, des Bordes, de St Privat) constituant la première ceinture distante environ de 2.700 mètres de l'enceinte ne correspondaient plus aux nécessités techniques nouvelles. Une deuxième ceinture de forts détachés « Festes » (groupes fortifiés) distants de 5 à 7 kms du centre de la ville était envisagée. Cette conception permettait de démanteler l'ancienne enceinte de remparts étouffant la cité. Pour ce faire, la construction d'une nouvelle gare fonctionnelle et ... symbolique s'avérait nécessaire, ainsi qu'une meilleure circulation des trains.
En effet, le fameux plan allemand Schlieffen qui servit de base pour l'attaque de la France en 1914, prévoyait que le front allemand ne bougerait pas de la frontière suisse à Metz, pivot de l'aile tournante venant de la Manche. Ces armées se rabattraient devant Paris, puis sur Metz pour fermer le filet. La bataille de la Marne déjoua le plan.
Après 1871, la frontière franco-allemande passe à une quinzaine de kilomètres au sud de Metz, à Novéant. Les « Festen », ces gigantesques forts autonomes cernent la ville sur un périmètre de près de 70 kms. À la veille de la guerre de 1914, Metz est la « plus grande forteresse du monde » et verra débarquer l'essentiel des armements et des troupes partant à l'assaut de Verdun.
C'est par un décret du 9 février 1898 que l'empereur Guillaume II, alors âgé de 39 ans, autorisa le nivellement des fortifications entre la Moselle (la citadelle) au sud et la porte des Allemands à l'est. Il fut prévu de conserver quelques vestiges, notamment la porte Serpenoise, la tour Camoufle, la porte des Allemands. Pendant un certain temps, la question était de savoir si l'ancienne gare (place du Roi George) devait être transformée en gare de passage ou si l'on devait construire de toute pièce une nouvelle gare. En dehors des préoccupations militaires qui étaient primordiales, des grandes idées d'urbanisation étaient en projet.
Ce n'est qu'en 1901 qu'un concours fut ouvert à tous les architectes allemands par la direction générale impériale des chemins de fer d'Allemagne et de Lorraine pour la construction d'un ensemble comprenant essentiellement la nouvelle gare pour répondre aux besoins actuels et à venir. Tous les éléments formant le complexe sont prévus dans le cahier des charges :
- l'entrée du grand hall située face aux deux rues principales de la place,
- le pavillon de l'Empereur,
- les bâtiments de service aérés et lumineux,
- la pierre de taille utilisée devait être celle employée pour les autres monuments.
Le programme prévoit tout avec tant de précisions qu'il ne reste plus aux architectes qu'à habiller un espace bien délimité.

Dix neuf projets furent présentés, démontrant bien l'enjeu politique d'une telle construction. Certains de ces plans avaient des titres significatifs : - Unité et Droit et Liberté, - Libre par la raison, - Forts par les lois, - Allemands.
À l'unanimité, le jury a primé l'étude d'un architecte berlinois Jurgen Kroger portant le nom combien révélateur : « Lumière et Art ».

Ces plans bien que parfaitement conçus furent retouchés sur les instructions de l'Académie Royale et, aussi parait-il, du Kaiser lui-même imposant un style néo-roman-rhénan qui devait correspondre au symbolisme exprimé par la nouvelle gare. Guillaume II semble avoir un faible pour le style roman, peut-être parce que cette époque avait vu la grandeur du pouvoir impérial.
Avant de commencer les travaux, il fallut surmonter un certain nombre de difficultés dont notamment exhausser la ligne de Metz à Peltre et aussi construire une nouvelle gare de marchandises sur l'emplacement de l'ancien amphithéâtre datant de Dioclétien et où St Clément avait établi la première église catholique messine.
Les travaux de fondation de la gare que nous connaissons actuellement commencèrent en 1905 en même temps que l'ouverture de la ligne Metz-Woippy. L'œuvre de Titans débuta d'abord par le changement du lit de la Seille qui passera désormais entre les ponts Mazelle et des Allemands. Une énorme masse de 3.200.000 mètres cubes de matériaux est apportée pour établir les voies qui sont amenées par une ligne spéciale longue de 9 kms. La construction des voies est prévue sur un remblai très élevé pour éviter tout croisement avec des rues et la mise en place de passages à niveau afin d'assurer une rotation continue des trains. Dix mille tonnes de fer de construction seront utilisées. On plantera 3.045 pieux en béton armé jusqu'à 17 mètres de profondeur pour soutenir l'ensemble du bâtiment. Cet immense édifice sera long de 300 mètres et dominé par une tour haute de 42 mètres.
Un côté fonctionnel a été particulièrement étudié sur les plans. À savoir, que les circuits voyageurs et bagages ne devaient jamais se croiser, que les utilisateurs n'avaient pas à traverser les voies car ils passeront dessous d'où l'utilisation du fameux remblai, que le centre de tri postal était directement relié au cœur de la gare. Pour ce faire, cinq souterrains sont creusés dans la butte. Deux sont utilisés par les voyageurs au départ ou à l'arrivée. Deux autres servent à la circulation des bagages à l'aller ou au retour. Des ascenseurs hydrauliques montent et descendent les colis au niveau des sept voies à quai expliquant ainsi qu'à la gare de Metz on ne découvre pas le spectacle des chariots chargés de valise circulant à grands coups de klaxons entre les voyageurs. Le cinquième souterrain était exclusivement réservé au trafic postal. À l'extrémité droite du bâtiment se trouve le pavillon impérial. Sa conception grandiose exprime également des idées politiques. L'escalier monumental en marbre est surmonté d'un fronton inspiré à la manière des portails italiens de lions, allusion au bestiaire roman. Par contre, le bas-relief représente la porte des Allemands de Metz complétée par des faisceaux dorés, symbole de l'Empire. Au premier étage, on arrive dans le salon d'honneur appelé jusqu'en 1918 salon de l'Empereur. Le fond à droite est garni d'un grand vitrail représentant Charlemagne sur son trône, autre symbole politique. Ce personnage a, par ailleurs, de solides références locales. Descendant d'Arnould, évêque de Metz, il reviendra dans la cité pour y enterrer Hildegarde, l'une de ses épouses.
En fait, il s'agit de mettre en scène certains moments de l'Histoire qui imposeraient le pouvoir de l'occupant aux Lorrains.
Au quai n°1, le Kaiser pouvait en passant par une porte monumentale située à gauche accéder directement à ses appartements et à ceux de l'Impératrice dont la chambre à coucher jouxtait le salon Charlemagne. De même, son cheval entrant par la poterne de gauche, empruntait un ascenseur pour se retrouver sur la place devant la gare.
Après le côté militaire, la partie civile du bâtiment principal occupe à peu près les deux tiers de la surface, bénéficiant des derniers progrès de l'époque en matière de construction. Ainsi, l'aération de tous les locaux est assurée par un réseau de canalisations, qui existe encore, reliées à une cheminée centrale située dans le donjon. Une roue en bois à aubes assure la diffusion de l'air partout.
L'endroit que l'on appelle aujourd'hui le buffet avec les salons « Verlaine » et « Erckman-Chatrian » étaient des salles d'attente où l'on pouvait servir de 60 à 200 repas. Les cuisines, situées au premier étage, donnant sur une cour intérieure, étaient dotées d'un système particulier de ventilation électrique, d'une machine à laver la vaisselle à « turbine », d'un fourneau à café au charbon ou à gaz, de « chauffoirs » à tasse, d'un appareil à chauffer l'eau. La transmission des plats se faisaient par un ascenseur hydraulique. Des caves immenses étaient prévues pour entreposer plusieurs milliers de bouteilles ainsi que trois foudres de 2.500 litres, trois autres de 1.200 litres et douze de 500 litres. Un appareil pour tirer le vin en communication directe avec les salles du buffet était installé. Une machine à grande capacité pour la fabrication de l'eau de Seltz était aussi prévue. Deux grandes caves entreposaient la bière et deux autres les légumes et les conserves.
Dans la partie réservée à la circulation des voyageurs, les sculptures, les bas-reliefs, les chapiteaux ornant ce vaste bâtiment ont une signification autant politique que sociale. Née sous le signe de l'Aigle, la gare de Metz a seulement passé les dix premières années sous ses ailes... Le grand aigle impérial couronnant la voussure de l'entrée principale s'est envolé en 1918 cédant la place aux armes de Lorraine. Disparu aussi l'aigle trônant au-dessus du salon de l'Impératrice, il a été remplacé par l'écusson des armes de Metz.
À l'extérieur, sur la droite à l'angle de la tour, on trouve une grande statue que les Messins appellent « Le guerrier ». En fait, il s'agit de la statue du Feld Maréchal Graf von Hasseler, premier gouverneur de la forteresse de Metz, de 1890 à 1903. II est représenté en « Roland », symbole de la protection accordée par l'Empereur à la cité. Après 1918, les Lorrains supprimèrent l'aigle sur le bouclier pour mettre à sa place les armes de la Lorraine. Un casque et des moustaches à la gauloise furent ajoutés transformant son aspect. En 1942, les armes de la Lorraine furent remplacées par celles de Metz.
Dans le hall, côté départ, la voussure d'entrée présente l'image du peuple. Les différentes professions sont indiquées avec leurs signes caractéristiques (prêtre, soldat, bourgeois, musiciens...). Au sommet, un homme et une femme se donnent la main, est-ce un signe d'adieu ou d'union ? Plus haut, des personnages allégoriques rappellent l'industrie lourde.
Les chapiteaux cubiques des colonnes à droite de l'entrée illustrent l'évolution et l'histoire des transports allant de la diligence au zeppelin. Dans la galerie marchande, ce sont surtout des allusions au colonialisme qu'expriment les motifs sculptés.
Le bâtiment de service est orné d'une iconographie adaptée à ses fonctions représentant les personnes ou les corps de métiers œuvrant dans la gare.
En dehors du complexe fonctionnel, l'Empereur qui venait fréquemment assister aux manœuvres militaires sur le terrain de Frescaty, voulait la rattacher à l'histoire du Reich ancien et du Reich contemporain d'après 1870.
Le rôle socialisateur de l'art s'exprime à travers la gare de Metz qui n'était pas un édifice neutre ni remarquablement fonctionnel mais ayant surtout un rôle important d'intégration.
Ce bâtiment a été voulu en grande partie par les militaires, Metz étant toujours la première place forte que l'on se tourne du côté de Berlin ou de Paris. Ce sentiment avait été fortement ressenti par le feld-maréchal prussien, Comte von Hasseler pour qui Guillaume II avait créé en 1890, le 16e corps d'armée fort de 25.000 hommes cantonné à Metz.
Lorsque les autorités militaires cèdent les terrains de l'ancienne enceinte fortifiée, elles ne le font qu'après que la ville de Metz eut élaboré un plan d'occupation du sol pour éviter un urbanisme archaïque et correspondre à des « diktats » impératifs. Un quartier homogène était conçu sous le nom de quartier de la gare appelé « Neustadt » (ville nouvelle) par les Allemands. Sa structure devait satisfaire principalement les besoins militaires croissants dont les principaux aspects étaient les suivants :
- les bâtiments « civils » de tout ordre devaient pouvoir être utilisés par les troupes en mouvement. Chaque ligne de chemin de fer est desservie (cas unique en France) par deux quais, l'un surélevé à hauteur des plateaux des wagons pour l'embarquement de la cavalerie et du matériel, l'autre à hauteur des marches des wagons pour les hommes de troupe ;
- le buffet de la gare, le salon de l'Empereur et les quais avaient été réalisés de façon à permettre de ravitailler rapidement les officiers et les soldats ;
- le château d'eau situé à l'entrée de la rampe d'accès aux voies et aux quais avant les bâtiments fournissait l'eau non seulement pour les locomotives mais aussi pour les besoins de la troupe et des chevaux ;
- la place de la gare avec ses grands hôtels devait permettre les manœuvres d'arrivée ou de départ des soldats et l'hébergement des officiers ;
- les rues partant face à la gare menaient rapidement vers le « Kaiser Wilhelm Ring », c'est-à-dire le boulevard Foch actuel facilitant les rassemblements importants de troupes, puis vers les casernes et les forts. L'axe des rues Lafayette, Clovis, du XXe Corps Américain, Franiatte, Coste et Bellonte conduisait directement à Frescaty qui était le grand champ de manœuvres et se trouvait aussi au voisinage des casernes de Montigny et du fort de St Privat. De même, les rues Gambetta, Pierre-Perrat, Wilson, St Symphorien (appelée Kriegstrasse) menaient sans détours vers les casernes de Longeville, Moulins, et les forts du St Quentin, de Plappeville, des feste Kaiserin, Leipzig (nouveaux forts édifiés sur le plateau) ;
- les deux énormes passages sous les voies en direction de Plantières et du Sablon étaient en relation avec la gare de marchandises intégrée au complexe ferroviaire. Les mouvements de grande importance de troupes et de matériel pouvaient être combinés et rationalisés en jouant de tous les moyens. On comprend que dans ce contexte les Allemands aient sacrifié sans vergogne la sauvegarde des restes de l'amphithéâtre romain découvert lors de la construction de la gare de marchandises. Le Kaiser avait visité les lieux le 16 mai 1903 après avoir assisté à des grandes manœuvres à Frescaty ;
- dans l'ensemble prévu, il faut ajouter les bâtiments de la Poste (classés aussi monument historique) du Télégraphe et du Téléphone qui étaient un élément fondamental dans les plans militaires allemands. Leur proximité avec la gare s'imposaient et un souterrain en assurait la communication.
Tous les travaux sont terminés, la construction a duré de 1904 à 1908 et a coûté environ 17 millions de D.M.
L'inauguration de la gare est effectuée en grande pompe le 17 août 1908 sous l'œil attentif d'un buste du Kaiser noyé dans les plantes vertes. Dans le grand hall à 11 heures, après l'exécution par un chœur important de « Die Him¬mel rühmen » de Beethoven, Monsieur Wackerzapp, président de la direction générale des chemins de fer d'Alsace-Lorraine, prend la parole et retrace l'historique de la construction.
À midi exactement, un train spécial conduit les invités sur la nouvelle ligne de Woippy, en passant par Metz-Abattoirs et Metz-Nord. De retour, à treize heures en gare de Metz, un repas est servi à 140 personnalités dans les salles d'attente des 1ère et 2e classes. La composition du menu laisse rêveur de nos jours :
- hors d'œuvre
- truite sauce hollandaise pomme nature
- selle de chevreuil garnie
- riz de veau à la Strasbourgeoise
- poularde truffée de Metz
- salades diverses
- paillettes de parmesan
- fruits
- gâteaux
et le tout arrosé de :
- Eckel
- Grand Vernezay extra dry
- Turckheim 1904
- Vin de Scy 1904
- Oblisberger 1905
- Winckler Hasenprung 1900
- Pommard 1900
- Bisinger
- Crème de Bouzy
- Café
- Liqueurs et alcools.
La musique militaire du 154e Régiment d'Infanterie prussienne animait le banquet. Il est inutile de dire qu'à l'arrivée des paillettes de parmesan l'ambiance était chaude.
À la table d'honneur Monsieur Brettenbach, géomètre des chemins de fer de l'Empire Allemand, félicite le restaurateur gestionnaire du buffet de la gare, Monsieur Wirtz, pour la tenue du repas et surtout pour la qualité de la cave. Compliments auxquels se joignent le feld maréchal Comte von Hasseler, gouverneur militaire, Monsieur de Keller, secrétaire d'état d'Alsace-Lorraine, le général de Prittwitz, Monsieur Wackerzapp, président des chemins de fer de l'Empire Allemand et d'Alsace-Lorraine. L'heure est maintenant aux toasts que les organisateurs ont volontairement limités. Il a été précisé sur le menu « pour prévenir certains bavardages » ou peut-être des réponses « gênantes » des députés lorrains présents que seul, Monsieur de Koeller, secrétaire d'Etat, pourrait y répondre.
Le soir même de cette réception, lundi 17 août 1908, le premier train régulier entrait en gare à 21 h 14. Il s'agissait du 1.111 venant de Sarreguemines, Hargarten, Boulay. Dans l'ancienne gare, place du roi George, le dernier train, le 409, est parti vers Trèves à 20 h 50. L'arrivée du premier train dans la nouvelle gare ne se passa pas sans péripéties, le journal « Le Messin » du 18 août relate ainsi les faits :
« À la nouvelle gare, les distributeurs automatiques contenant les tickets du perron sont dévalisés en moins d'un quart d'heure. Il faut ouvrir des guichets spéciaux pour satisfaire ce nombreux public de curieux. Les employés sourient et distribuent des tickets sans demander pour quelle direction. Un vrai voyageur s'il s'en fut trouvé un, aurait risqué de manquer son train. Sur le quai où doit arriver le premier train, la foule s'entasse, sautant dans les travées et traversant les voies malgré la défense formelle.
Les employés débordés et résignés laissent faire. Contre la foule, pas de résistance.
9 h 14 - 9 h 20 - 9 h 30 toujours pas de train.
Pas exact pour un premier convoi qui ne peut invoquer l'excuse de l'encombrement. Un train de marchandises, toussant et fumant, essaie de faire prendre patience à la foule.
9 h 31, un chef de gare, qui a l'air tout neuf, fait circuler. Le train est signalé. Il entre en gare sur une voie où on ne l'attendait pas. La foule se déplace. Le train entre en gare en sifflant. Les voyageurs reçoivent un accueil auquel ils ne s'attendaient pas. Horreur ! Ce n'est pas le vrai train. C'est le second qui joue au premier, la vilaine farce d'arriver à l'heure, et avant le premier.
Cinq minutes plus tard, le premier, locomotive pavoisée, fait son entrée sous les regards ironiques de la foule. »
Après avoir survolé l'épopée des débuts de l'ère ferroviaire à Metz, on ne peut pas passer sous silence l'opinion de Maurice Barrès, chantre patriotique de la Lorraine sur la gare de Metz telle qu'il l'a décrite dans les premières pages de son célèbre roman « Colette Baudoche - Histoire d'une jeune fille à Metz », paru en 1909 : « La gare neuve où l'on débarque affiche la ferme volonté de créer un style de l'Empire -par le style « colossal »- comme ils disent en s'attardant sur la dernière syllabe. Elle nous étonne par son style roman, et par un clocher qu'a dessiné, dit-on Guillaume II ; mais rien ne s'élance, tout est retenu, accroupi, tassé sous un couvercle d'un prestigieux vert épinard. On y salue une ambition digne d'une cathédrale, et ce n'est qu'une tourte, un immense pâté de viande. La prétention et le manque de goût apparaissent mieux dans les détails. N'a-t-on pas imaginé de rappeler dans certains motifs ornementaux la destination de l'édifice ! En artistes véridiques, nous autres, loyaux Germains, pour amuser nos sérieuses populations qui viennent prendre un billet de chemin de fer, nous leur présentons dans nos chapiteaux, des têtes de soldats casqués de pointes, des figures d'employés aux moustaches stylisées, des locomotives, des douaniers examinant le sac d'un voyageur, enfin un vieux monsieur en chapeau haut de forme qui pleure de quitter son petit-fils. Cette série de platitudes produits d'une conception philosophique, vous n'en doutez-pas, pourrait tant bien que mal se soutenir à coup de raisonnement, mais nul homme de goût ne les excusera, s'il a vu leur morne moralité. »
« Vous qui passez sans me voir... » si la « kolossale » gare de Metz pouvait chanter, elle choisirait certainement la romance de Jean Sablon.
Mais une gare est une gare, le rendez-vous de l'éphémère, des gens pressés qui ne lèvent les yeux que sur l'horloge sans voir l'une des plus riches collections d'images inscrites dans l'architecture de cet édifice.
Quoiqu'il en soit, qu'on la juge belle et imposante ou horrible et lourde, selon les goûts ou même comparée à un « tas de viande », la gare de Metz ne laissera jamais personne indifférent.

Jean Desprat, Metz


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