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Mardi 14 novembre 1950 :
Le convoyeur-postal de l'omnibus Thionville-Metz, M. Armand Briot, abattu à coups de revolver.


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Malgré les faibles indices relevés dans
LE CRIME DE L'OMNIBUS 343
la police de METZ est sur les talons de l'assassin du convoyeur des P.T.T.
Armand BRIOT, tombé victime du devoir
METZ (de nos correspondants particuliers).

Etoiles lointaines, les deux lanternes de la locomotive surgirent d'abord du cœur de la nuit. Puis elles grandirent. Puis l'on distingua, comme les anneaux d'un ver luisant immense, les fenêtres des compartiments illuminés. Alfred Muller, postier, s'approcha de sa place réglementaire, à l'extrémité du quai de la gare de Woippy.
- 20 heures 14, murmura-t-il. Le 343 est à l'heure...
Le convoi défila devant lui en ralentissant, puis s'arrêta. M. Muller eut en face de lui le compartiment de tête du dernier wagon. Sur la vitre, une étiquette se détachait où l'on pouvait lire le mot POSTE. Mais la portière ne s'ouvrit pas. Sans doute, le collègue de M. Muller était-il trop affairé à trier ses sacs. Aussi, M. Muller s'approcha-t-il du wagon et ouvrit la portière lui-même. Ses veux s'agrandirent de surprise le compartiment était vide ! Pas trace de son collègue personne dans le compartiment voisin. Cependant, aucune erreur n'était possible c'était bien là l'emplacement réservé à la poste. Des « dépêches », gros sacs de toile grise réglementaire, étaient jetées sur les banquettes. Quelques-unes gisaient à terre, en désordre. Certaines paraissaient avoir été ouvertes, comme le montraient de nombreuses lettres éparses sur le plancher.
Accident ? Attentat ? Pour le moment, il fallait d'abord donner l'alerte, empêcher le départ du train... Et M. Muller courut vers la gare. Cependant, au même moment, d'un compartiment voisin, l'appel d'un voyageur s'élevait :
- Attention ! En voilà un qui se sauve !...
Une ombre, en effet, venait de quitter le train à contre-voie. Sa silhouette traversa les rails. Le voyageur qui avait crié put l'apercevoir encore quelques secondes. Le fuyard s'empêtra dans le faisceau des câbles de signalisation, faillit tomber, poursuivit sa route et se perdit dans la nuit.
Cependant, l'alarme était donnée. Et tandis que l'on commençait à s'affairer autour du wagon tragique, le téléphone de la gare n'arrêtait pas. A Metz, déjà le commissaire central Jacob et le capitaine de gendarmerie Beaujard faisaient, à tout hasard, établir des barrages. A Maizières-lès-Metz, la station précédente, des gendarmes et des cheminots partaient en patrouille le long de la voie. De cette gare, on apprenait que l'omnibus 343 était parti à l'heure réglementaire, 20 h. 5 ; que le service postal était assuré par Armand Briot ; que ce dernier avait reçu un important envoi de fonds de la perception de Maizières... Aussitôt, les « dépêches » furent sommairement examinées, mais, à première vue, rien ne semblait en avoir été soustrait. Il n'était pas possible d'immobiliser plus longtemps le convoi. L'omnibus 343 quitta donc Woippy pour la gare suivante, Metz, terminus où il arriva avec une bonne heure de retard.
Cependant, de Metz, une locomotive spéciale s'était mise en route en sens inverse, une machine haut-le-pied munie de puissants projecteurs et qui, après Woippy, ralentit l'allure, explorant le ballast sur les cinq kilomètres séparant Woippy de Maizières. Déjà, son mécanicien voyait les lumières de cette dernière gare lorsque, trois cents mètres avant, ses projecteurs illuminèrent un groupe d'hommes, debout autour d'une forme allongée entre les deux voies.
Cette forme, c'était le cadavre d'Armand Briot. Le malheureux, âgé de 44 ans, demeurait à Metz, rue de la Marne, dans le quartier Sablon. Il était marié et père de trois jeunes enfants. Très au courant de son service, ponctuel et consciencieux, il était particulièrement estimé de ses chefs.
L'accident, il n'y fallait pas songer. C'était bien d'un crime qu'il s'agissait. Le corps avait été trouvé, étendu sur le ventre, la visage barbouillé de sang et ne portant qu'une chaussure. Sa casquette était un peu plus loin. Un premier examen pratiqué par le docteur Job montra qu'il avait reçu deux balles dans le ventre. La mort avait dû être instantanée.
Son corps fut transporté au cimetière de Maizières où, le lendemain matin, le docteur Shunter-Banda, médecin légiste désigné par le juge d'instruction, M. Stemper, procéda à un examen plus approfondi. La première balle avait perforé l'abdomen de part en part. La seconde traversa le cœur, le foie, et l'avant-bras droit. Elle fut retrouvée à côté du cadavre. Cela permit d'établir que l'arme du crime était un pistolet automatique Colt P 38.

Des témoins entrevirent le meurtrier
Tandis qu'avait lieu l'autopsie, le Parquet de Metz, composé de M. Poirot, procureur de la République, et de M. Stemper, juge d'instruction, assisté de M. Hergat, son greffier, s'était rendu sur les lieux du drame où enquêtaient déjà les inspecteurs Camps, Caye, Guétienne et Steff, sous les ordres du commissaire Lacombe, et les gendarmes de Maizières, commandés par le chef Shilt et le capitaine Beaujard.
Le voyageur qui avait, la veille au soir, en gare de Woippy, vu un individu quitter le train à contre-voie leur donna de précieuses indications. C'est M. Jean Mayam, qui demeure à Metz, 18, rue du Rempart-Saint-Thiébault, à quelques mètres seulement de la villa où l'ignoble Migliarini assassina, le mois dernier, un eoctogénaire et sa bonne dans las conditions que nos lecteurs connaissent.
Ce témoin occupait le dernier compartiment du wagon précédant celui où la victime travaillait dans le premier compartiment. Le drame s'est donc déroulé à un mètre de lui.
L'omnibus 343 avait quitté Maizières-lès-Metz depuis deux minutes environ, lorsque M. Jean Mayam mit la tête à la portière. Il vit alors que la portière du wagon suivant immédiatement le sien était ouverte, et qu'un individu s'efforçait de la fermer. Rendu méfiant, sans doute par le double assassinat commis dans sa rue, M. Jean Mayam eut la présence d'esprit de mettre la lumière de son compartiment en veilleuse, afin de pouvoir observer sans être vu. L'homme, vêtu d'un complet foncé et coiffé d'un béret tricoté, avait une taille de 1m. 70 environ, le teint très foncé et un type gitan assez accentué.
Il s'était accroupi pour fermer la porte. Il finit par y parvenir. C'est le même que le témoin, toujours en observation, vit s'enfuir à travers voies lorsque l'omnibus 343 s'arrêta en gare de Woippy.
M. Mayam n'est pas le seul, d'ailleurs, à avoir été témoin de cette fuite : le chef de sécurité du poste directeur d'aiguillage, M. Louis Stempfler, avait également vu le fuyard s'empêtrer dans les fils des signaux, longer ensuite la barrière métallique bordant les voies, puis la traverser et, à travers champs, gagner la route.
Autre témoignage important, celui du garde-barrière d'un passage à niveau devant lequel passa l'omnibus 343 deux minutes après avoir quitté la gare de Maizières, et qui perçut, venant du train en marche, le bruit d'un coup de feu. Le même témoin remarqua, quelques instants plus tard, que, sur la route, une voiture automobile arrêtée mettait son moteur en marche et démarrait.
A ces maigres renseignements, il fallait ajouter les résultats de la vérification des « dépêches », faite à la direction des Poste. Elle avait établi que rien n'avait été volé.
Il semblait donc, à ce moment, que l’on fût en présence du crime d’un isolé, assez peu au courant du service postal. Quant à la voiture, dont on put établir par d’autres témoignages qu’elle était immatriculée au Luxembourg, elle était apparemment, pensait-on, celle de braves touristes étrangers en quête de leur chemin...

La piste du Grand-Duché
On devait apprendre, bientôt après, que, le soir du crime, ce n'est pas l'infortuné Briot, mais un de ses collègues qui eût dû se trouver dans le wagon fatal. Ce soir-là, Briot avait dû remplacer à l'improviste un collègue, qui l'échappa belle.
Enfin, les enquêteurs furent mis au courant, par les services postaux, d'un détail sensationnel : une banque de Luxembourg avait, ce jour-là, envoyé vingt-cinq kilos d'or à une banque de Metz ! Normalement, ce lourd paquet eût dû être acheminé par l'omnibus 343. Ce fait, le convoyeur Briot lui-même l'ignorait, par contre, il est certain que le criminel le savait ! Ainsi, au lieu d'un assassin isolé, ignorant du service postal, on se trouvait en face d'un individu parfaitement averti, ayant vraisemblablement des complices organisés ! Car, seul, un hasard l'empêcha de mettre la main sur les treize millions d'or que représentaient les lingots. A Thionville, après les opérations de douane, un employé, mû par une remarquable prémonition, avait pris sur lui de retarder d'une journée la transmission du précieux paquet.
Les policiers découvrirent ensuite que l'assassin avait conversé, sur le quai de la gare de Thionville, avec un homme en gabardine beige. On sut qu'ils s'étaient tous deux intéressés aux allées et venues du convoyeur Briot. Ce dernier avait-il, lui aussi, un fâcheux pressentiment ? Il est établi, par le témoignage de plusieurs cheminots, qu'après s'être installé dans un certain wagon, il en descendit pour gagner celui où il allait trouver la mort ! L'homme en gabardine monta alors dans le wagon précédent, celui du témoin Mayam par conséquent, tandis que l'assassin, qui avait d'abord choisi le wagon d’Armand Briot, en descendit derrière lui, et, toujours derrière lui, monta dans le wagon tragique.
Les enquêteurs eurent de lui un signalement plus détaillé : assez mince, âgé d'une trentaine d'années, il est brun et a les tempes légèrement dégarnies. Il avait une veste foncée et un pantalon gris. Autour du cou, il portait un foulard noir dont dépassaient les pointes, et, sur la tête, une casquette américaine en tricot kaki, surmontée d'un bouton de métal.
Enfin, le commissaire Lacombe révéla ce qu'il avait caché pendant trois jours à la presse : il avait retrouvé la piste de l'assassin avant le crime ! On savait désormais qu'il venait d'Hayange, ville située entre Thionville et Longwy, laquelle est toute proche de la frontière luxembourgeoise.
C'est un simple ticket de tramway qui lança sur cette piste les collaborateurs du commissaire Lacombe. Le voyage du suspect fut reconstitué : il descendit de tramway à Thionville, station du Colisée, gagna la gare à pied, y prit un billet pour Metz et passa sur le quai. C'est là, comme on l'a lu, qu'il parla avec l'individu en gabardine.
Il portait sous le bras un petit paquet enveloppé de papier qui était vraisemblablement le Colt P 38, arme du crime.
Sachant d'où il venait, les enquêteurs sont persuadés qu'ils doivent aiguiller leurs recherches vers la région frontalière. Tant qu'ils n'auront pas appréhendé l'homme, le souci de ne pas contrarier leur poursuite nous oblige à en passer sous silence le détail. Mais quand on a vu l'optimisme du commissaire Lacombe, et quand on sait les excellents résultats que ses inspecteurs et lui ont déjà obtenus, et dans mainte enquête plus difficile encore, on peut être certain que l'odieux assassin de l'omnibus 343 ne jouira plus bien longtemps de l'impunité de son crime.
Ce que l'on peut dire, ce sont les raisons qui ont persuadé les enquêteurs que l'assassin avait des complices. La principale est qu'un homme seul ne se charge pas d'une masse de vingt-cinq kilos.
Cette déduction a amené la police à s'intéresser à cette automobile signalée par le garde-barrière. La voiture a été retrouvée et ses occupants identifiés. Ce sont, en effet, des Luxembourgeois, et ils ont déclaré s'être égarés et avoir dû faire demi-tour...
Pour le moment, les choses en-sont là. Et, sous une pluie fine, des chevaux caparaçonnés de noir, des délégations de cheminots et de postiers, fanions cravatés de crêpe en tête, ont conduit au cimetière l'infortuné Armand Briot, avec le concours ému de la population messine.
Mais il faut que son sacrifice ne soit pas inutile, et nous serons sans doute approuvés de tous nos braves et dévoués postiers quand nous aurons souligné la fâcheuse insécurité actuelle des convoyeurs. Ils devraient toujours être deux, et armés, quand ils ont à manipuler des sommes importantes. L'escorte armée qui les accompagne sur le quai de la gare est trop visible : elle sert moins à les protéger qu'à indiquer précisément aux bandits le coup fructueux qu'ils pourront faire sans risque, une fois que, le train parti, le gendarme aura tourné les talons. La sécurité sur le quai est une excellente chose, mais elle ne doit pas faire négliger la sécurité à bord de la voiture postale, quand la vie même d'un brave homme et le bonheur d'une famille en dépendent.

Roger BAUGÉ.
(Reportage photo. G. Bour, DÉTECTIVE.)

   

Armand Briot, père de trois jeunes enfants, fonctionnaire irréprochable, tué à son poste.


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