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Philippe de Vigneulles : choses et mots du Pays messin
(Les Cahiers Lorrains, 1983, Premier trimestre.)

C'est à Woippy, la "Nostre Dame d'aoust issant", que Mademoiselle Maryse Hasselmann a mis en 1982 la dernière main à sa thèse sur « Le Vocabulaire des réalités messines dans la Chronique de Philippe de Vigneulles (fin XVe - début XVIe siècle) ». Présenté devant l'Université de Nancy II pour l'obtention du grade de Docteur d’Etat, ce travail a valu à son auteur la mention « Très honorable », à l'unanimité (1). Qui ne connaît Philippe de Vigneulles, chaussetier et "citain" de Metz né en 1471 et mort en 1528, auteur en particulier d'une Chronique éditée par Charles Bruneau, sous les auspices de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, de 1927 à 1933 ?
Le titre de la thèse dit assez que Mlle Hasselmann a placé son étude dans une perspective strictement définie : il s'agit d'une approche linguistique, de l'étude d'un certain vocabulaire ; seule la Chronique - à l'exclusion des autres ouvrages du même auteur - est directement concernée ; enfin, le vocabulaire étudié est celui qui sert à désigner les réalités messines. Mais que faut-il entendre par « réalités messines » ? Mlle Hasselmann avertit son lecteur (p. 21) que la richesse de la matière n'a permis de faire leur place à la hiérarchie religieuse, ni à la guerre, et l'auteur est sans doute la première à le regretter.

(1) Thèse soutenue le 18 décembre 1982. Président du Jury : M.R. Arveiller ; rapporteur : M.A. Lanly ; membres : Mlle H. Naïs, MM. Lanher et R. Lathuillère. Deux volumes, 734 pp., photocopié. Consultable aux Archives départementales.

Aussi seuls trois centres d'intérêts sont-ils retenus : la société laïque et le gouvernement ; le droit ; la vie quotidienne. A chacun d'eux est consacré un développement comptant de cent cinquante à deux cent cinquante pages.
C’est dire que, compte tenu des limites fixées, de multiples aspects de la vie à Metz – et dans le Pays messin – se présentent aux yeux du lecteur. Citons, parmi les titres de chapitres et de paragraphes, et les mots étudiés au sujet de la société : les Messins (Messain, lesdits de Metz, ceux de Metz, peuple, habitants), leur condition juridique (bourgeois, citain, citoyen, concitain), les praticiens (paraige et lignage, seigneur, dame, damoiseau). Le gouvernement nous vaut des développements sur les magistrats de la cité, les offices fondamentaux (le maître-échevin, les échevins, les Treize, le Conseil), les offices judiciaires secondaires (des maires et des doyens au comte et au voué) ; on retrouve d'ailleurs certains de ces officiers dans la seconde partie, consacrée au droit, et en particulier aux fonctions de ceux qui en sont titulaires, sans que soient pour autant ignorés, avec les prescriptions de caractère pénal, le droit civil, les impôts, les mesures messines de capacité (céréales et vin), de poids, de surface... La vie quotidienne est envisagée d'abord à travers l'individu (le corps, les maladies, les vêtements, le caractère...), puis, dans une perspective élargie, dans le cadre familial et social (les repas, les métiers, les jeux, les cérémonies...), pour déboucher enfin sur la nature et la vie agricole.
Mais qu'y a-t-il là de typiquement messin ? Faut-il entendre par « réalités messines » tous les aspects de la vie des habitants, ou seulement ce qui leur appartient en propre ? En fait, Mlle Hasselmann semble s'être laissée guider tantôt par les mots (p. ex. ceux que nous donnons plus haut ; en italique), tantôt par les institutions particulières au Pays messin. Dans le premier cas, les termes originaux relevés ne concernent pas nécessairement des réalités spéciales à Metz ; parfois, ces termes appellent à leur suite, sous la plume de Mlle Hasselmann, des vocables plus répandus, par exemple pour constituer un inventaire complet des termes désignant les patriciens (pp. 61 à 79). Dans le second cas, les mots originaux peuvent faire presque complètement défaut (voir par exemple le passage relatif aux offices fondamentaux, pp. 113 à 139). Les linguistes savent par expérience combien la relation entre les mots et les concepts est, par nature, ambiguë et déroutante. On n'en reprochera pas moins à Mlle Hasselmann d'avoir donné à penser, de par le libellé du sujet de sa thèse, que le choix des mots à étudier était conditionné par la spécificité des choses...
Quoi qu'il en soit, le lecteur qui s'intéresse aux particularités du Pays messin - qu'elles soient d'ordre linguistique, social, politique ou culturel - trouve dans cette thèse très exactement 669 mots ou expressions soigneusement étudiés (2). Sur plus de 400 points, l'auteur prend malicieusement en défaut les grands dictionnaires de référence, tels le Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes, de F. Godefroy, et même le Französisches Etymologisches Wörterbuch de W. von Wartburg (2). (Mais le propre de ces grands ouvrages n'est-il pas d'enregistrer, à un moment donné, les connaissances acquises, et de susciter eux-mêmes des recherches qui permettront de les corriger, voire de les remplacer ?) A partir de cette connaissance approfondie du vocabulaire de Philippe de Vigneulles, Mlle Hasselmann propose même d'apporter des corrections à l'édition de Ch. Bruneau, faite à partir d'un manuscrit malheureusement détruit au cours de la Seconde guerre mondiale.
La conclusion insiste sur la dimension régionale de l'ouvrage : messine d'origine, Mlle Hasselmann a voulu apporter sa contribution à la connaissance de Metz, dans le domaine de la langue : nul ne contestera qu'elle y soit parvenue, mais fallait-il pour autant bannir systématiquement de la bibliographie ce qui ne se rapporte pas strictement à Philippe de Vigneulles ou à son œuvre, à l'histoire de Metz ou au vocabulaire du parler messin ? C'est à peine si quelques titres, dans cette « Bibliographie messine », dénotent une information plus large.
(Pierre Demarolle)

(2) Encore que l’auteur n'aille pas jusqu'à rechercher l'étymologie des vocables recensés (N.D.L.R.).
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